“Mon approche du mouvement est ancrée dans des actions pratiques que nous connaissons tous·toutes, comme frapper, éviter ou lancer. J’insère de nombreuses distorsions pour que ces objectifs motivent les mouvements des danseur·euses sans être identifiables par les spectateur·ices : les objets visés sont absents et les parties du corps utilisées ne sont pas adaptées à l’objectif. Ces actions détournées visent à capter une dimension poétique du mouvement qui se situe en deçà du discours et de la narration. Loin d’être purement formelles, elles déclenchent des affects et des émotions sans avoir à s’insérer dans une structure narrative.

Dans About Now, je confronte ce vocabulaire d’actions détournées à celui de la danse classique, dont les pas sont eux-mêmes des verbes d’action stylisés : “frappé, fouetté, assemblé… “. Avec les danseur·euses de NDT 2, nous avons exploré des actions présentes dans le vocabulaire classique, en nous appuyant sur la richesse de l’expérience répétée de ces pas, sans nous limiter à leurs contraintes extérieures. Nous avons ainsi exploré la dimension sensuelle, expérientielle et affective de ce vocabulaire, plutôt que sa structure géométrique formelle, largement explorée par les traditions néoclassique et moderne.

Le vocabulaire de Ballet porte la marque des idéologies dominantes des périodes qui l’ont vu naître : il est disciplinaire, impose au corps un cadre formel qui ne tient pas compte de ses tendances naturelles et véhicule des normes sexuées stéréotypées. Le caractère problématique de cet héritage apparaît de plus en plus clairement. Il est cependant illusoire de penser que nous pourrions nous détacher complètement de cet héritage, car au-delà de la danse classique, c’est le rapport de la culture occidentale au mouvement et au corps qui est en jeu. Dans About Now, je ne cherche pas à nier cet héritage, mais à le retravailler pour créer un nouveau classique qui s’appuie sur la richesse et la sophistication de cette tradition pour générer un autre rapport au corps, affectif et sensuel, et qui reconfigure les dynamiques de pouvoir et d’aliénation ancrées dans la danse classique.” Noé Soulier